Cadre législatif et PRMHH

L’Assemblée nationale du Québec a adopté la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques (LCMHH) le 16 juin 2017. Cette loi vise à instaurer une meilleure planification du développement territorial afin d’atteindre l’objectif d’aucune perte nette de milieux humides ou hydriques par la conservation, la restauration ou la création de ceux-ci.

Les Organismes de bassins versants (OBV) du Québec doivent, dans le cadre de leur convention 2018-2021 les liant au Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les Changements Climatiques (MELCC), mettre à jour les sections de leur Plan directeur de l’eau (PDE) portant sur les milieux humides et hydriques, et mettre en place une démarche de concertation afin d’élaborer des objectifs de conservation des milieux humides et hydriques (OCMHH) sur leur territoire.

Parallèlement à l’élaboration des OCMHH, les municipalités régionales de comté (MRC) ont la responsabilité d’élaborer et mettre en œuvre un plan régional des milieux humides et hydriques (PRMHH) sur leur territoire à l’échelle des bassins versants. 

Un PRMHH est un document de réflexion stratégique qui vise à intégrer la conservation des milieux humides et hydriques (MHH) à la planification de l’aménagement du territoire, en favorisant un développement durable et structurant. 

Qu’est-ce qu’un milieu humide et hydrique?

L’expression «milieux humides et hydriques» fait référence à des lieux d’origine naturelle ou anthropique qui se distinguent par la présence d’eau de façon permanente ou temporaire, laquelle peut être diffuse, occuper un lit ou encore saturer le sol et dont l’état est stagnant ou en mouvement. Lorsque l’eau est en mouvement, elle peut s’écouler avec un débit régulier ou intermittent. Un milieu humide est également caractérisé par des sols hydromorphes ou une végétation dominée par des espèces hygrophiles. (Art. 46.0.2, al. 1 LQE)

Lorsqu’on parle de milieux humides, on fait référence aux étangs, marais, marécages et tourbières.

Les différents types de milieux humides – Irène Lumineau

Les milieux hydriques, quant à eux, sont les lacs, les rivières, les ruisseaux, les rives et les plaines inondables.

Les différents types de milieux hydriques – Irène Lumineau

Les milieux humides et hydriques du bassin versant du fleuve Saint-Jean

La zone de gestion intégrée en eau du bassin versant du fleuve Saint-Jean c’est:

  • 104 175 ha de milieux humides potentiels (14 % du territoire)
  • 282 lacs (de plus de 2 ha)
  • 8 889 km de cours d’eau

Avant l’adoption de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques (LCMHH) le 16 juin 2017, les milieux humides bénéficiaient d’un encadrement législatif plutôt vaste.

Législation fédérale

Certains milieux humides et hydriques revêtent une importance non négligeable pour la faune et la flore. Lorsque ces milieux sont répertoriés comme des habitats essentiels pour une espèce enregistrée menacée ou en péril selon la loi fédérale, ils peuvent alors être protégés par la loi sur les espèces en périls [1]. De plus, la loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs[2] et la loi sur les espèces sauvages du Canada[3], protègent les zones fréquentées par les organismes qu’ils soient de nature végétale ou animale, et interdit les rejets de substances nocives dans leur habitat. Le ministre peut d’autant plus, prendre à bail ou acquérir des terres […] en vue des activités de recherche, de conservation ou d’information. 

Législation provinciale

Au Provincial, les milieux humides sont protégés par plusieurs lois et règlements. Tout d’abord, une grande proportion de ces écosystèmes qui sont situés sur les terres privées du bassin versant du fleuve Saint-Jean sont soumis à la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables retrouvés dans la loi sur la qualité de l’environnement[4] puisqu’ils font partie de la rive d’un cours d’eau ou d’un lac. Cette politique y réglemente la construction et la modification du couvert végétal. Par exemple, un propriétaire riverain est autorisé à retirer le couvert végétal de sa rive uniquement sur une largeur de 5 m perpendiculairement au plan d’eau afin d’y avoir accès. Les restrictions légales liées à cette politique assurent donc une partie de la conservation des milieux humides riverains d’un lac ou d’un cours d’eau.

Les milieux humides situés en dehors de la bande de protection riveraine sont mieux protégés depuis l’adoption de la nouvelle loi en juin 2017 : la loi sur la conservation des milieux humides et hydriques (LCMHH)[5]. Cette loi a pour objectif de réformer l’encadrement juridique relatif à la conservation de ces écosystèmes et d’instaurer une meilleure planification du développement des territoires afin d’atteindre l’objectif : aucune perte nette. Conséquemment à l’adoption de cette loi, plusieurs lois ont été modifiées.

D’abord la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et favorisant une meilleure gouvernance de l’eau et des milieux associés (LACCRE)[6] dont l’objectif principal est […] la protection, la restauration, la mise en valeur et la gestion des ressources en eau ayant pour but le développement durable […], reconnait maintenant les fonctions écologiques exercées par les milieux humides et hydriques. La loi confie aussi aux municipalités régionales de comté (MRC) la responsabilité de mettre en œuvre un plan régional des milieux humides et hydriques (PRMHH) sur leur territoire respectif. Ces plans régionaux comprennent la localisation, la délimitation, la caractérisation et la priorisation des milieux humides à conserver et le diagnostic des problématiques présentes sur le territoire. L’objectif est de tenir une réflexion en amont du développement afin d’intégrer les enjeux liés à ces milieux lors du processus d’aménagement du territoire.

La loi sur la qualité de l’environnement[7] (LQE) bénéficie aussi de diverses modifications. D’abord, une nouvelle section propre aux milieux humides et hydriques a été ajoutée. Dans cette dernière, la loi fait maintenant mention de l’intérêt de favoriser la gestion intégrée de ces milieux dans une perspective de développement durable, de la volonté d’éviter les pertes et d’exiger des mesures compensatoires dans le cas où la destruction ou l’atteinte aux fonctions écologiques ou à la biodiversité de ces milieux serait inévitable. Ainsi est mis en place le Règlement sur la compensation pour l’atteinte aux milieux humides et hydriques[8] qui prévoit un montant compensatoire pour les projets ayant été autorisés. Le montant en cas de compensation est calculé selon la formule suivante [9]:

Coût de base X Perturbation X Facteur R + Valeur terrain X Superficie

Le coût de base est de 20 $/m2. Alors que le niveau de perturbation varie entre 0,3 et 1,5. Le facteur « R » est de 0,3 pour les milieux humides et 0,8 pour les milieux hydriques pour les municipalités situées dans le bassin versant du fleuve Saint-Jean sauf la municipalité de Saint-Jean-de-Dieu située dans la MRC des Basques dont le facteur « R » est de 1 pour les deux types de milieux[10]. Quant à la valeur des terrains, elle varie entre 0,43 $/m2 et 5,80 $/m2 en fonction des MRC.

Ex de calcul du montant compensatoire

Voici un exemple de montant compensatoire pour l’atteinte à un milieu humide d’un projet de drainage fictif situé à Témiscouata-sur-le-Lac (R=0,3) où la valeur des terrains est évalués à 0,43 $/m2 (vt), affectant un milieu humide d’une superficie de 100 m2 (S) dont l’état initial était non perturbé (P1=1) et dont le niveau d’impact sur les composantes du milieu humide (végétation, sols et régime hydrologique) est considéré élevé (P2 = 0), le promoteur devra compenser le milieu humide perturbé par un montant de 643 $.

Formule : (ct + vt) x s

ct=cb * P1 -(P1xP2) * R, donc 20 $ * (1 -(1*0) * 0,3 = 6

Vt=0,43$/m

S=100m2 Les montants ainsi perçus sont versés au Fonds de protection de l’environnement et du domaine hydrique de l’État[11] et vont servir à financer des projets de restauration et de création de milieux humides et hydriques prioritairement basés sur le même territoire que la MRC ayant subi la perte. Conséquemment, les sommes versées en contribution financière entre le 16 juin 2017 et le 31 décembre 2018 sont actuellement disponibles par MRC pour la création ou la restauration de milieux humides dans le cadre de l’appel à projet du programme de restauration et de création de milieux humides et hydriques

MRCMontants disponibles
Les Etchemins0 $
Bellechasse23 024 $
Montmagny0 $
L’Islet21 153 $
Kamouraska15 852 $
Rivière-du-Loup67 808 $
Les Basques32 777 $
Rimouski-Neigette2 433 $
Témiscouata33 902 $
Montant actuel des fonds de protection de l’environnement et du domaine hydrique de l’État versé en compensation pour des milieux humides et hydriques dégradés selon les MRC[12]

Les milieux humides situés en milieu forestier sont quant à eux protégés par le Règlement sur l’aménagement durable des forêts du domaine de l’État (RADF)[13]. Le RADF interdit les coupes forestières dans les milieux humides ou à mauvais drainage ainsi que la construction d’un chemin à moins de 60 m d’un tel milieu. Notons également que le Groupement forestier du lac Témiscouata, qui effectue la plupart des travaux forestiers aussi bien en forêt privée que publique dans la zone Nord-Est, est certifié FSC depuis 2002 (Grenier 2012). Le principe essentiel à l’obtention d’une telle certification consiste à s’assurer minimalement du respect des règlements en vigueur. Il est donc raisonnable de supposer que les travaux forestiers réalisés par le Groupement forestier du lac Témiscouata tiennent compte de la présence des milieux humides et visent à les épargner.

En 2019, le bureau d’écologie appliqué a mis à la disposition un site internet afin d’accompagner les citoyens au travers du labyrinthe législatif lorsque leur projet risque d’impacter un milieu humide ou hydrique https://www.milieuxhumides.com/.

La Loi sur la conservation du patrimoine naturel[14] a également subi une réforme à la suite de l’adoption de la LCMHH. Cette dernière peut instaurer des mesures de conservation de milieux naturels comme les milieux humides et hydriques complémentaires aux autres moyens existant en facilitant la mise en place d’un réseau d’aires protégées. Pour bénéficier de tels statuts, les milieux doivent posséder des qualités particulières telles qu’une grande valeur écologique due à leur diversité biologique ou aux fonctions associées, une intégrité rare, une grande superficie ou si ces milieux contribuent à la sécurité publique.

Par « aire protégée », le gouvernement entend : « un territoire, en milieu terrestre ou aquatique, géographiquement délimité, dont l’encadrement juridique et l’administration visent spécifiquement à assurer la protection et le maintien de la diversité biologique et des ressources naturelles et culturelles associées ». Au sein de ces zones, nous retrouvons […] des réserves écologiques, des parcs nationaux, des réserves de biodiversité et aquatiques, des habitats fauniques, des réserves nationales de faune et des milieux naturels en terres privées voués à la conservation[15].

Dans le bassin versant du fleuve Saint-Jean, on retrouve 4128 ha de milieux humides qui font soit partie du réseau d’aires protégées, soit protégée par les MRC par la désignation d’un parc régional ou par les propriétaires. Ainsi, 7,4 % des milieux humides situés sur le territoire sont déjà sous protection. Dans la zone Nord-Est, il y a 3 318 ha de milieux humides qui font partie du réseau des aires protégées dont 75 % sont situés dans le parc National du Témiscouata et sont donc protégés par la réglementation du parc depuis la création de ce dernier en 2012[16]. Des 25 % restant, on retrouve d’abord 4 refuges biologiques et 2 Aires de confinement du cerf de virginie : ruisseau Baseley et Bénédict protégé pour des fins de conservation de l’habitat. Finalement, la région abrite 3 écosystèmes forestiers exceptionnels : forêt rare du ruisseau à l’eau clair, de la Montagne à Fourneau, de la rivière Owen et la forêt ancienne du Lac-Morrisson. Ces forêts présentent des éléments naturels spécifiques justifiant leur protection contre toutes activités susceptibles de les modifier.

Dans la région de Chaudière-Appalaches, ce sont 810ha de milieux humides qui se trouve dans les zones d’aires protégées dont 8 refuges biologiques sous protection pour des fins de conservation pour le maintien de l’habitat et 4 forêts anciennes : St-Camille-de-Lellis, ruisseau Hamon, de la rivière Rocheuse, de la rivière Rochu. Nous y retrouvons aussi la réserve écologique internationale Thomas-Sterry-Hunt[17]. Il s’agit d’un complexe d’écosystème représentatif du système tourbeux appalachien préservé à des fins de recherches scientifiques et de protection de l’écosystème à l’état naturel. Par la suite, nous avons l’habitat faunique du Rat musqué du lac Léverrier, protégé afin d’assurer le maintien de la diversité biologique et des fonctions écosystémiques qui se trouvent dans cet écosystème. Finalement, la réserve naturelle de la rivière à la Loutre est un bon exemple de protection volontaire effectué par un particulier en terre privé selon la loi sur la conservation du patrimoine naturel[18].

Outre les aires protégées par le provincial, les MRC ont aussi le pouvoir de désigner des parcs régionaux pour des fins de récréation et de conservation. Ainsi, le bassin versant de rivière Noire-Nord-Ouest dans la zone Sud-Ouest bénéficie de 1 214 ha supplémentaires de territoire protégé.

Le dernier mode de protection des milieux humides utilisé au sein du bassin versant du fleuve Saint-Jean consiste à signer des ententes de conservation volontaire avec des propriétaires forestiers. Dans la partie du bassin versant située au Bas-Saint-Laurent, la signature de telles ententes a débuté en 1995 et se poursuit encore aujourd’hui. La forêt modèle du Bas-Saint-Laurent a été à l’origine de ce projet, avant que le Groupement forestier de l’Est du lac Témiscouata et l’Agence de mise en valeur des forêts privées du Bas-Saint-Laurent prennent le relais. Depuis l’an 2000, ce programme a permis la signature d’ententes de conservation volontaire par 125 propriétaires forestiers et la protection de 1 226 ha de milieux humides. Ces mêmes acteurs ont participé à la sensibilisation de nombreux forestiers privés sur la richesse des milieux humides et sur les moyens de protection existants.

Dans la partie du bassin versant situé en Chaudière-Appalaches, le Conseil régional de l’environnement Chaudière-Appalaches (CRECA) a permis la signature  d’ententes de conservation volontaire par 99 propriétaires forestiers entre 2001 et 2003. Ces ententes ont permis de protéger 700 ha de milieux humides. L’Agence de mise en valeur des forêts privées des Appalaches avec la collaboration de la Fondation de la faune du Québec et le club d’ornithologie du Québec, a entamé en 2013 un projet similaire auprès des propriétaires forestiers, ce qui a permis de protéger 184 ha de milieux humides de plus. Notons cependant que ces ententes reposent sur une volonté du propriétaire de protéger les milieux humides présents dans son lot forestier et découlent d’une sensibilisation efficace. Néanmoins, elles ne font l’objet d’aucun suivi, peuvent être rompues sur demande du propriétaire et n’ont plus d’effet dès lors que ce dernier vend sa propriété.


[1] Loi sur les espèces en périls.

[2] Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs. C. 1994. c 22

[3] Loi sur les espèces sauvages du Canada. R.C. 2004. c 25

[4] Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, Q, 2016 c 2, r 35

[5] PL 132, Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques, 1er sess, 41e lég, Québec, 2017 (Sanctionné le 16 juin 2017). LQ 2017, c 14.

[6] Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et favorisant une meilleure gouvernance de l’eau et des milieux associés. Q. 2017. c 14

[7] Loi sur la qualité de l’environnement. Q. 2017. c 14

[8] RLRQ, 2018, c. Q -2., r. 9,1

[9] LACHANCE, DANIEL, S. VALOIS, C. BOUCHARD ET F. BOURRET. 2019. Lignes directrices sur le calcul de la contribution financière exigible à titre de compensation pour l’atteinte aux milieux humides et hydriques. Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Direction de la protection des espèces et des milieux naturels et Direction de l’agroenvironnement et du milieu hydrique, Québec, 30 p.

[10] MELCC, 2018, Information concernant la détermination des facteurs R et vt dans la formule de calcul de la contribution financière, ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, gouvernement du Québec, Québec

[11] Fonds de protection de l’environnement et du domaine hydrique de l’État. 2017. Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les Changements Climatiques. Québec.

[12] MELCC. (2020). Appel à projets et instructions – Volet 2 de l’aide financière du Programme de restauration et de création de milieux humides et hydriques. Québec, 16 p. [En ligne]. www.environnement.gouv.qc.ca/programmes/prcmhh/app el-projets-instructions-volet-2.pdf.

[13] RLRQ, c. A -18.1, r. 0,01

[14] Loi sur la conservation du patrimoine naturel. Q. 2020. c 61,01

[15] MELCC. 2020. Registre des aires protégées. Québec. [En ligne]. http://www.environnement.gouv.qc.ca/biodiversite/aires_protegees/registre/

[16] MELCC. La cartographie des milieux humides potentiels du Québec. Données Québec.2019. [En ligne] https://www.donneesquebec.ca/recherche/fr/dataset?q=milieux-humides-potentiels

[17] http://www.environnement.gouv.qc.ca/biodiversite/reserves/thomas_sterry/res_21.htm

[18] http://www.environnement.gouv.qc.ca/biodiversite/prive/depliant.htm