Dans sa partie québécoise, 5,7% du bassin versant du fleuve Saint-Jean sont occupés par des milieux humides.
Bien souvent perçus comme des lieux inutiles, voire nuisibles, les milieux humides ont été et sont encore aujourd’hui détruits ou dégradés au profit d’autres usages. On estime que plus de 70% des milieux humides ont été perdus à proximité des régions peuplées du Canada. Les principales causes de destruction ou dégradation des milieux humides sont le drainage, remblayage, perturbation lors de l’aménagement du territoire à des fins agricoles, forestières, de développement ou de construction de routes. Cette situation est d’autant plus inquiétante que le Canada compte près du quart des milieux humides restants dans le monde.
Pourtant, ils sont très utiles puisqu’ils fournissent de nombreux services écologiques dont toute la population bénéficie.
D’origine naturelle ou créés par les activités humaines, les milieux humides sont des zones saturées d’eau ou inondées suffisamment longtemps pendant l’année pour influencer la nature du sol et la composition de la végétation. Plusieurs d’entre eux prennent des airs de milieux aquatiques au printemps, mais s’assèchent presque complétement durant l’été. Cette caractéristique les rend donc souvent difficiles à distinguer à moins de bien les connaître. Les milieux humides peuvent autant être riverains à un lac ou à un cours d’eau, qu’être isolés et alimentés par des résurgences ou seulement par l’eau des précipitations. Les étangs, les marais, les marécages et les tourbières sont considérés comme des milieux humides au sens de la Loi sur la qualité de l’environnement.
Une tourbière qui est couverte à plus du quart de sa superficie par des arbres de 4 mètres et plus de hauteur se nomme une tourbière boisée. En effet, les tourbières peuvent supporter de vastes forêts.
En considérant les 4 types d’écosystèmes ci-dessus, la direction de la connaissance écologique (DCE) a diffusé une cartographie des milieux humides potentiels du Québec en 2019. Alors qu’en 2008 on évaluait à 10 673 ha la superficie occupée par les milieux humides dans le bassin versant du fleuve Saint-Jean, elle est passée en 2019 à 104 175 ha de milieux potentiels représentant à présent 14 % du territoire. Dorénavant, c’est 7 % des milieux humides qui se retrouvent dans la partie du bassin versant (BVFSJ) qui se trouve au Bas-Saint-Laurent, tandis que 8 % sont situés dans celle qui se trouve en Chaudière-Appalaches, associée aux ensembles physiographiques du haut et du bas plateau appalachien. Toutefois, une dichotomie s’observe au sein du pourcentage de recouvrement des régions. Ainsi, la la partie du BVFSJ située en Chaudière-Appalaches est occupée à 23 % par les milieux humides, alors qu’ils ne couvrent que 10 % du BVFSJ situé au Bas-Saint-Laurent.
Bien que les chiffres aient augmenté, le plus grand pourcentage de territoire occupé par les milieux humides est toujours celui du bassin versant de la rivière Saint-Jean-Sud-Ouest dont 40,47 % de ce sous-bassin est occupé par les milieux humides. Le sous-bassin versant possédant la plus grande superficie de milieux humides est maintenant celui de la rivière Daaquam (16 400 ha). En revanche, le sous-bassin versant de la rivière Perches et Creuse, est celui qui présente le plus faible pourcentage de milieux humides, soit seulement 4,93 %. Détrônant ainsi celui de la rivière Madawaska qui est passée de 1,3 % à 9,14 % avec la nouvelle cartographie[1].
Outre la superficie, on note que le type de milieux humides observés sur le territoire du bassin versant du fleuve Saint-Jean est grandement dominé par les marécages (53 %) et les tourbières (40 %). Conséquemment, on ne retrouve que très peu de marais (40ha) et d’étangs (6 527 ha). De même, 977ha de milieux humides ne sont toujours pas caractérisés et bénéficieraient d’une évaluation terrain afin d’identifier le type d’écosystème dont il est question.
Dans la partie du bassin versant située au Bas-Saint-Laurent, la signature d’ententes de conservation volontaire a débuté en 1995 et se poursuit encore aujourd’hui. La forêt modèle du Bas-Saint-Laurent a été à l’origine de ce projet, avant que le Groupement forestier de l’Est du lac Témiscouata et l’Agence de mise en valeur des forêts privées du Bas-Saint-Laurent prennent le relais. Depuis l’an 2000, ce programme a permis la signature d’ententes de conservation volontaire par 125 propriétaires forestiers et la protection de 1 226 ha de milieux humides. Ces mêmes acteurs ont participé à la sensibilisation de nombreux forestiers privés sur la richesse des milieux humides et sur les moyens de protection existants.
Dans la partie du bassin versant situé en Chaudière-Appalaches, le Conseil régional de l’environnement Chaudière-Appalaches (CRECA) a permis la signature d’ententes de conservation volontaire par 99 propriétaires forestiers entre 2001 et 2003. Ces ententes ont permis de protéger 700 ha de milieux humides. L’Agence de mise en valeur des forêts privées des Appalaches avec la collaboration de la Fondation de la faune du Québec et le club d’ornithologie du Québec, a entamé en 2013 un projet similaire auprès des propriétaires forestiers, ce qui a permis de protéger 184 ha de milieux humides de plus. Notons cependant que ces ententes reposent sur une volonté du propriétaire de protéger les milieux humides présents dans son lot forestier et découlent d’une sensibilisation efficace. Néanmoins, elles ne font l’objet d’aucun suivi, peuvent être rompues sur demande du propriétaire et n’ont plus d’effet dès lors que ce dernier vend sa propriété.
« … Desséchons ces marais, animons ces eaux mortes en les faisant couler, formons-en des ruisseaux, des canaux… Bientôt au lieu du jonc, du nénuphar dont le crapaud composait son venin, nous verrons paraître la renoncule, le trèfle, les herbes douces et salutaires… » Comme l’illustre cette citation de Buffon, les milieux humides ont longtemps été considérés comme des lieux insalubres où l’eau stagnante favorisait la prolifération des insectes nuisibles. Cette perception négative a eu un fort impact sur la dégradation et la destruction des zones humides. Étant considérées comme inutiles pour l’agriculture, la foresterie, et la majorité des activités anthropiques, ces zones ont longtemps été détruites au nom de l’intérêt général. En effet, leur drainage ou leur remblayage les rendaient davantage accessibles et utilisables. Bien que l’on connaisse davantage le fonctionnement et les services rendus par les zones humides, ces perceptions négatives occupent encore de nos jours une place importante dans l’imaginaire collectif. Une plus grande sensibilisation et davantage d’intérêt pour ces milieux seront sans aucun doute leur planche de salut.
Les milieux humides procurent divers services écologiques non seulement au milieu naturel, mais aussi aux organismes qui les habitent dont l’humain fait partie. En effet, ces écosystèmes remplissent une multitude de fonctions au sein d’un bassin versant [2]:
L’image ci-dessus ne présente qu’une partie des services écologiques qui varient en fonction du milieu dont il est question. Les experts ont rassemblé les services écologiques en 4 catégories : les services de régulation, d’approvisionnement, ontogénique « développement humain » et sociaux culturels[3]. Bien que les experts répertorient plus d’une vingtaine de services écologiques, le gouvernement du Québec [4] en a retenu six à évaluer lors des demandes de certificats d’autorisations [2].
1. Prévenir et réduire la pollution en provenance des eaux de surface et souterraines et l’apport des sédiments provenant des sols |
2. Rétention et évaporation d’une partie des eaux de précipitation et des eaux de fonte réduisant les risques d’inondation et d’érosion et favorisant la recharge de la nappe phréatique |
3. Habitats pour l’alimentation, l’abri et la reproduction des espèces vivantes (biodiversité) |
4. Préserve l’eau d’un réchauffement excessif et protège les sols et les cultures des dommages causés par le vent, par le maintien de la végétation |
5. Atténuation des impacts des changements climatiques (séquestration du carbone) |
6. Conservation du caractère naturel d’un milieu et des attributs des paysages associés, contribuant à la valeur des terrains voisins. |
Maintenant que les services écologiques sont reconnus, les experts se sont penchés sur la valeur monétaire de ces services. Ainsi, ils auraient estimé qu’un milieu humide au Canada produirait annuellement des services d’une valeur de 6 000 $/ha[2]. En considérant la superficie des milieux humides retrouvée sur le territoire (104 175 ha), ce dernier bénéficierait de la présence de milieux humides d’une valeur de 625 millions $. Cependant, au Canada, 60 % des services offerts par les écosystèmes seraient en danger dû aux développements humain[2]. Si la tendance n’est pas renversée, les générations futures n’auront plus accès à ces services et devront jouer d’ingéniosité pour compenser les pertes.
Afin de réaliser l’inventaire des milieux humides du Québec, le MDDELCC a compilé l’ensemble des données cartographiques existantes. Les sources comprennent les données déjà connues comme les peuplements écoforestiers de l’inventaire écoforestier du Québec méridional (IEQM) produites par MFFP ; la base de données topographiques du Québec (BDTQ) produite par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) ; les données topographiques du Canada produites par Ressources naturelles Canada (CanVec) ; la partie fluviatile des données de l’Atlas de conservation des terres humides de la vallée du Saint-Laurent du Service canadien de la faune d’Environnement et Changement climatique Canada. Ces données sont aujourd’hui enrichies de nouvelles cartographies détaillées des milieux humides produites par le MELCC et Canards Illimités Canada (CIC) ; des données de cartographie de l’occupation du sol des Basse-Terre du Saint-Laurent produites par Environnement et Changement climatiques Canada en collaboration avec le MELCC ; les données de la cartographie écologique de la végétation du Nord québécois produite par le MFFP et des données du programme d’inventaire écoforestier du Québec nordique (PIEN) produites par le MFFP[5].
L’inventaire des milieux humides repose donc essentiellement sur l’interprétation de photographies aériennes et peu de vérifications ont été faites sur le terrain pour confirmer la présence réelle, préciser le contour ainsi que le type de milieux humides. De plus, les milieux humides occupant de petites surfaces (moins de 1ha) sont difficilement repérables sur une photographie. De même, les marécages sont souvent boisés et peuvent parfois être confondus avec un milieu forestier. Il en résulte toujours une connaissance incomplète de la localisation exacte et du type de milieux humides présents dans le bassin versant du fleuve Saint-Jean.
Qu’il s’agisse de la construction de nouveaux quartiers résidentiels, de routes, de stationnement, ou encore de la mise en place d’un réseau de tuyaux souterrains, les projets de développement urbain nécessitent des terrains ayant un bon drainage et idéalement nivelés. Or, le drainage d’un milieu humide ou à proximité de celui-ci modifie les fonctions écologiques et écosystémiques du site ainsi que ses fonctions hydrologiques. Par définition, un milieu humide drainé n’est plus un milieu humide. De plus, la machinerie utilisée lors de travaux de développement compacte le sol, altère la majeure partie du couvert végétal et créé de larges ornières qui canalisent l’eau et modifient ainsi l’écoulement hydrique.
Les zones de milieux humides étant plus contraignantes à développer, elles ne sont généralement pas choisies en priorité par les promoteurs de projets de développement. Cependant, l’étalement urbain et la hausse de la valeur des propriétés riveraines que l’on observe depuis quelques années représentent une menace croissante pour ces milieux. En effet, dans un tel contexte, il devient rentable d’investir dans le drainage et l’aménagement des milieux humides. De plus, la méconnaissance des milieux humides et surtout de l’importance de les conserver représentent un obstacle et parfois même une excuse pour les promoteurs et les municipalités pour ne pas tenir compte de ces milieux lors de l’élaboration de leurs projets de développement.
Les plantes exotiques envahissantes représentent une menace pour la biodiversité et le maintien de l’intégrité écologique des milieux humides. Elles sont très compétitives et leur mode de propagation favorise leur étalement aux dépens des autres plantes présentes dans le milieu. Elles engendrent une réduction de la biodiversité, modifient les habitats fauniques et portent préjudice à la présence des espèces indigènes. Dans notre bassin versant, la présence de plantes envahissantes exotiques telles que le roseau commun, la berce du Caucase, le butome à ombelle, la salicaire pourpre et l’alpiste roseau a été observée. La plupart de ces plantes prolifèrent dans les marais et les bords d’étang. À l’heure actuelle, le roseau commun semble représenter la plus grande menace au maintien de l’intégrité écologique des milieux humides du bassin versant du fleuve Saint-Jean. Se propageant essentiellement par les fossés routiers, la machinerie utilisée lors des travaux routiers ainsi que les cours d’eau, il est déjà présent dans plusieurs marais à proximité des routes. Une des plus grandes talles de roseau commun se situe dans les marais en bordure du lac Touladi, au Bas-Saint-Laurent.
[1] MELCC. La cartographie des milieux humides potentiels du Québec. Données Québec.2019. [En ligne] https://www.donneesquebec.ca/recherche/fr/dataset?q=milieux-humides-potentiels
[2] Évaluation des écosystèmes du millénaire, 2005. Disponible en ligne à : millenniumassessment.org/fr/index.aspx. [Visité le 12-05-20]
[3] Limoges, B. (2009). Biodiversité, services écologiques et bien-être humain. Le naturaliste canadien, 133 (2), 15-19.
[4] Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et favorisant une meilleure gouvernance de l’eau et des milieux associés. Q. 2017. c 14
[5] MELCC. 2019. Données Québec. Milieux humides potentiels. Disponible en ligne à : https://www.donneesquebec.ca/recherche/fr/dataset/milieux-humides-potentiels. [Visité le 12-05-20].